Un véritable trauma de l’irrationnel semble marquer Reich, témoignant que le concept s’enracine chez lui dans une assise émotionnelle « primaire » ; voici comment il en parle dans l’Introduction de 1945 à People in trouble :
«Le premier contact avec l’irrationalité humaine fut pour moi un choc immense. Il est incroyable que j’y aie survécu sans devenir mentalement malade… Voici comment on peut au mieux caractériser cet état : c’est comme si on apercevait d’un coup la nullité scientifique, l’absurdité biologique et la nocivité sociale d’idées et d’institutions qui jusque-là avaient paru tout à fait naturelles et évidentes. C’est une sorte d’expérience de « fin-du-monde » que l’on rencontre si souvent chez les schizophrènes dans sa forme pathologique.»
Reich pousse très loin l’analogie du trauma irrationnel avec la vision du schizophrène : «Il me plairait de penser que la forme schizophrénique de la maladie mentale s’accompagne généralement d’un éclair de lucidité au sujet de l’irrationalité des processus sociaux et politiques, et notamment de l’éducation des enfants.»
L’éclair de lucidité «schizo» est assimilé par Reich à d’autres formes de connaissance : les «éclairs d’intuition limpide» propres aux créateurs, aux «génies», parmi lesquels Reich cite «Rousseau, Voltaire, Pestalozzi, Nietzsche», et les «visions rationnelles qui envahirent la sensibilité de millions de gens» au cours des révolutions sociales, parmi lesquelles Reich cite «celles de 1776 en Amérique, de 1789 en France, de 1917 en Russie».
Cette saisie multiforme de l’irrationnel —par l’homme «normal» «en pleine adaptation aux formes de pensée commune», comme dit Reich, par le schizophrène, par le créateur, par les masses— souligne la considérable extension que Reich donne au concept d’irrationnel.
L’irrationnel est partout, il couvre tout.
Extrait de : Cent fleurs pour Wilhelm Reich, par Roger Dadoun (Payot)