À toi, qui effaces une vie

Après les attentats parisiens du 13 novembre 2015.

À toi, qui effaces une vie
Aussi froidement qu’on efface
Un nom d’un téléphone,
Homme ou femme de la terreur qui a ensanglanté le lieu de fête
Tu n’effaces pas seulement « une » vie

Tu effaces un milliard d’étoiles
Dans un ciel de vécu
Chaque étoile : une pensée,
Une expérience, une sensation,
Un sentiment, une émotion
Chaque étoile : une étincelle du vivre
Donnée et recueillie

Tu effaces le sourire d’une mère
Sur le cœur d’un enfant
Est-ce de ça dont tu as manqué ?
Tu effaces la joie d’un père
Sur les yeux d’un enfant
Est-ce cela que tu n’as pas reçu ?

Tu effaces les rires
Un milliard de rires
et de joies partagées
Est-ce ça qui t’était étranger ?

Tu effaces ce ciel de vécu
Ces constellations de sensations
D’émotions,
de ressentis et d’expérience
Ton ciel était donc si pauvre ?

Tu effaces des océans d’envies
De projets, d’élans
Et d’aspirations
Ta terre était si sèche ?

Tu effaces un regard
Une fenêtre sur le monde
Que le monde se donne
N’étais-tu entouré
Que des murs aveugles ?

Toi qui effaces une vie
Quelle main ne t’a pas été tendue
Pour que la tienne tranche la chair
Si facilement ?
Quelle tendresse ne t’a pas été insufflée
Pour que ta détermination
Soit si froide, si implacable
À en glacer le sang ?

Toi qui effaces une vie
As-tu jamais pu connaître
La beauté de la nature ?
La splendeur d’un ciel d’automne
T’était donc interdite ?
Vivons-nous dans des mondes distincts ?
Respirons-nous des airs différents ?
Abritons-nous des sangs étrangers ?

Alors dis-moi, toi qui effaces une vie
En quoi sommes-nous différents
Fondamentalement,
Toi et moi ?
N’avons-nous pas besoin de la même eau
Lorsque nous souffrons de la soif ?
Des mêmes soins
Lorsque nous sommes blessés ?
Des mêmes attentions
Lorsque nous nous sentons seuls ?
De la même joie
Lorsque nous aimons partager ?
Et, lorsque nous sommes fatigués,
Notre corps ne prend-il pas,
Naturellement,
Les mêmes positions
Pour se reposer ?

Dis-moi, errant d’un vide immense ;
Qu’est-ce que la chance ?
Dans quels pièges es-tu tombé
Que je n’aurais pu connaître ?

Toi qui effaces une vie,
Tu peux souffler ma vie
Et diffracter sa flamme
En milliards de bougies
Dans des mains anonymes
Mais, aide-moi à te comprendre
Aide-moi à comprendre en quoi
J’ai participé à te créer,
Car si je ne suis pas responsable de tes actes
Je me sens coresponsable de ce monde
Qui t’a créé, qui a créé ta vie
Ce monde, notre monde à nous tous

Et si tu ne devais m’offrir qu’une seule chose
Fais-moi don d’une question,
Une seule :
Suis-je bien sûr d’avoir tout essayé
Qui fut à ma portée
Pour que tu vives et existes
Et non existes sans vivre ?

Toi qui effaces une vie
Mon frère humain de cendres.