Je les entends venir
ces clameurs,
par-delà les montagnes.
Le vent apporte déjà
les rires des victoires;
Et je connais ces chants,
c’est la gloire des nations,
des drapeaux érigés
et d’autres piétinés,
les chants des partisans
et les pleurs des perdants;
Dis-moi que je me trompe,
que c’est juste le vent
qui joue les grands tonnerres…
Mais…
Je les entends, encore
ces clameurs,
par-delà les montagnes,
le vent apporte ce soir
les hourras des victoires;
Et je connais ces cris :
ce sont ceux de ces frères
qui se broient d’une main
pendant que l’autre enlace.
C’est le cri si muet
de la vie qu’on efface
dans un rictus de glace ;
Dis-moi que je me trompe,
que c’est juste le vent
qui joue à perdre haleine…
Mais…
Je les entends, toujours
ces clameurs,
par-delà les montagnes,
c’est le son du talion
et de cette peste immense
qui couvait à bas bruit
mais qui maintenant éclate!
Écoute, écoute ce que j’entends :
J’entends les rires pleurer,
des gens qui chantent et dansent
autour de grands bûchers
sur une terre désâmée;
Et les ballets grinçants
des corps raidis
triomphant sur la voûte
du dos des abdiquants;
Dis-moi que je me trompe
que nous n’avons pas frayé
tout ce chemin pour rien…
Mais…
Je les entends, si fort
ces clameurs,
par-delà les montagnes…
Où fuir, ami, dis-moi ?
Existe-t-il cette terre
où les chants des frontières
bruisseraient d’incertain
comme une nuit de lointain ?
Où l’acide des triomphes,
en ses prismes de gloire,
ne saurait corroder
la douceur de nos jours ?
Où la joie nous serait
pluie de pétales intacte
sur les ondes furieuses
des victoires amères ?
Dis-moi que je me trompe,
que mon âme prend peur
bien plus qu’elle ne devrait…
Ou bien que toi-aussi
tu les entends venir,
ces clameurs qui recouvrent
les lignes claires des montagnes,
Et les réprouve tant
,
qu’ensemble nous prendrons,
comme des guerriers sans cibles,
le chemin des maquis :
L’autre route des cimes !
Là où le chant du monde
n’est ni cri, ni silence,
mais poème vivant
que jamais rien ne fige;
Là où les voix rendent armes
aux aubes sans mensonge,
et où la loi n’engloire
ni herses ni oriflammes;
Oui là, et seulement là,
où les rires ne crient pas,
quand les clameurs s’éteignent
dans le silence des règnes.