Le coup d’Agadir

Agadir Couverture Petit Journal

Club Med d’Agadir, une semaine de vacances avec ma fille. Je découvre un univers que je connaissais à peine, pour y avoir séjourné en tout et pour tout trois jours dans ma vie. Ma fille s’amuse énormément, prise en charge par une équipe enfants adorable et très compétente. Mais, les à-côtés pour adultes me laissent perplexe… Me voici magnifiquement pris en défaut de cohérence avec mes valeurs essentielles. Le fait que ma fille s’amuse et s’enrichisse avec toutes les activités enfants du club — et que cela m’offre du vrai temps pour moi — ne suffit pas à justifier totalement que je sois là. Je suis là aussi parce que je m’y suis pris au dernier moment, que je suis allé au plus connu, qui m’offre malgré tout une garantie de qualité de services irréprochable, impossible de ne pas le reconnaitre. Et parce que je n’ai pas trouvé sur internet d’alternative humaniste plus respectueuse des peuples. Ai-je mal cherché ?

Une grosse machine que ce Club Med, ce monde à part où tout le monde sourit et se la coole à l’américaine; ces journées rythmées par les animations, activités, musique techno-marocaine bastonnant à heure fixe. Ces buffets gigantesques, les assiettes à moitié pleine sur les tables aux chaises vides. Et ces groupes d’adolescents, habitués des lieux, à l’expression étonnamment identique, entre dilettantisme, suffisance dorée et ennui impénétrable comme un verre de rayban.

Le Club Med est tel le palais de Kapilavastu où vécu le Bouddha : il semble que nulle mort, nulle vieillesse, nulle maladie n’y aient droit de cité

Hier, soirée à thème culturel. Dans le restaurant du Club, des groupes gnawas jouaient, comme les pianistes d’ambiance de la chanson de Charlélie Couture. Un groupe à l’entrée (avec photo au passage aux côtés du mâalem), un autre dans la salle, un autre sur la terrasse. Tout ceci se mélange et frise la cacophonie. Imperturbables, les musiciens jouent, dansent et chantent, devant les allées et venues de « gentils membres » leur prêtant à peine quelques secondes d’attention polie entre deux voyages au buffet, ou au contraire, s’extasiant devant ces charmants autochtones si pittoresques avec leur tradition.

Dans un pays ou une large part de la population peine encore à manger à sa faim, ces assiettes chargées comme des décors de films indiens qui vont et viennent sous le nez de ces hommes, dont certains vénérables vieillards aux cheveux blanchis et à la peau parcheminée, a quelque chose de vraiment obscène.

Etrange tableau…

Imaginerait-on en France un complexe touristique de luxe marocain où des groupes de charmants celtes, bretons, occitans, ou même, pourquoi pas, de moines cisterciens, assureraient l’ambiance musicale du repas? Certes non, cela ne passerait pas et serait dénoncé comme une mascarade insultante, et ferait les gorges chaudes des nationalistes. On lèverait tous les boucliers de la fierté nationale et on ferait de magnifiques discours politiques à l’éloquence lustrée jusqu’à l’aveuglement.

Alors pourquoi ici est-ce possible?

Peut-être parce qu’au-dessus de toutes ces musiques entremêlées jusqu’au désagréable, quelque chose sonne encore plus faux : un bruit tenace, insistant, constant, comme une harmonique à contrario : le bruit colonial.

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