Bien sûr, le Club Med constitue malgré tout un pôle économique fournissant du travail à beaucoup de locaux. C’est un paradoxe très difficile à contrer : l’économie de l’assujetion fait vivre malgré tout. Lorsque je résidais à Tahiti au début des années 90, avant la fin des essais nucléaires, il n’était pas rare de trouver dans la pièce à vivre de familles tahitiennes une photo de la bombe atomique. Ce qui a été très néfaste pour l’écosystème et les habitants de la région fournissait une manne financière inespérée à bon nombre. Bien sûr, ces gnawas doivent se dire que c’est un moment désagréable à passer; qu’ils gagnent ce soir-là de quoi faire vivre leur famille durant un bon bout de temps. Curieux renversement: le soumis se soumet à nouveau pour exploiter en sous-main l’ex-exploiteur.
Bien sûr, le Club Med, et les Samsara, Tarama et autres Marmelada qui le jouxtent, perpétuent une forme de tourisme vouée à l’échec par l’avancée inéluctables des prises de conscience. Bien sûr, au-delà de l’indignation, quelle crédible alternative imaginer, dans le contexte de développement nécessaire du pays, dans ce monde globalisé au filet d’interdépendances plus dur que l’acier, plus étouffant qu’une cote de mailles et où tout argent est bon à prendre?
La caravane des Bien sûr avance dans le désert du réalisme, mais voici que se profile à l’horizon l’oasis du Tout de même. Tout de même, le Club Med possède beaucoup d’atouts pour inventer des centres de tourisme intelligent et humaniste qui, sans sacrifier aux plaisirs et loisirs des salariés épuisés, valoriserait et respecterait davantage l’accueillant. Sur son site internet, il communique sur plusieurs engagements responsables. Mais ces très belles lettres d’intention ne cadrent pas avec ce que j’ai observé et ressenti là-bas. Une démarche véritablement éthique sera impossible tant que les intérêts d’une minorité d’actionnaires seront privilégiés sur ceux d’une majorité œuvrante.
Il faudrait faire preuve d’une plus grande audace. Mettre fin à toute verticalité arbitraire. Développer les participations internes. S’intéresser autant à ceux qui accueillent qu’à ceux qui sont accueillis. Mettre tous les salariés sur pied d’égalité, à compétence et responsabilité identiques. Cesser le tourisme vitrine, favoriser l’immersion, délaisser la mise en scène du folklore qui réduit, caricature et dénature. Développer de véritables réseaux d’intégration locale. Désenclaver; car toute enclave d’une supériorité ostentatoire appelle la comparaison, l’envie et la vengeance, et sera tôt ou tard vouée à l’échec. Confucius a dit « un grand arbre attire la cognée ». Abandonner la recherche de la rentabilité maximale qui ne peut que conduire à l’échec humain, à la frustration, à la rancoeur. La remplacer par une autre dynamique respectueuse des êtres et des espaces : la recherche d’une coopération rentable à visée humaniste.
Sinon, quelle humanité que celle de ce tourisme où des mesures de protection de plus en plus élaborées transforment peu à peu ces enclaves en camps retranchés?
C’est entendu, il y a d’autres problèmes bien plus importants sur terre. Mais l’idéaliste en moi attend le jour où le dernier Club Med évoluera intelligemment ou bien fermera ses portes. Et mettra ainsi fin à l’expression pernicieuse de ce bruit colonial grésillant.