
Dans le champ du sans-âge
j’avance au son du soleil finissant
d’une journée frissonnante
dans l’à-peine du printemps
La jeune chaleur d’en dehors
joue avec la chaleur de mon corps
Elles se fondent
dans un dialogue complice
retrouvailles !
J’avance en mon corps de marche,
régulièrement
Sous mes pas l’herbe encore jaunie
sur un tapis de vert nouveau
craque comme de la céréale sèche
L’air est pur
le silence en son socle total
seuls, tout autour, les chants d’oiseaux
Au loin, m’apercevant
cinq biches s’enfuient en des courbes gracieuses
petites taches blanches de leur queue rebondissant
J’avance vers le bois et les pierres moussues
jadis sculptées par des mains d’hommes
qui naquirent, vécurent, se réjouirent et souffrirent
avant de disparaître
J’avance dans le champ du sans-âge
et le soleil n’a pas d’âge
et rien autour de moi n’a d’âge
Je suis plongé, immergé, englouti,
insignifiant point de conscience en mouvement
parmi des milliards et des milliards d’autres
dans un univers infini,
sans origine ni fin
sans limites
Et dans cette totale présence
et ce silence immense
bonheur simple et premier de vivre
comme celui d’être vécu
Sans intellect,
quelques mots seulement
qui traversent l’esprit
et nourriront ce poème
Et pourtant écrire… à quoi bon ?
L’expérience est passée
pourquoi la faire revivre ?
Et pourtant, écrire, oui tout de même
Si possible avec style
cette tendresse amoureuse du “tout-soi”
en même temps que de ce “rien-soi”
Et ce moment présent
dont les lignes de force se concentrent
jusqu’à tout englober
Toujours cette danse des paradoxes
Oh combien oui, écrire cela,
qui est musique,
vibration,
harmonie éternelle
Alors oui, j’écris
comme d’autres peignent
chantent, dansent et soignent
comme les êtres anciens
ont dressé des pierres nues
dans les nuits longues du temps
Comme d’autres font l’amour
s’animent et respirent
embrassent le silence
et d’autres l’embellissent
J’écris parce que la vie aime
m’anime et me traverse
et que je ne peux m’empêcher
de rechanter son chant.
Photo : Naia Radisson