Ce n’est pas un vieil homme qui est parti. Ça, c’est ce que tout le monde pourrait dire. Non, ce n’est pas un vieil homme qui est mort, c’est un homme qui nous a quittés dans son grand âge.
Dans cette paisible campagne de Touraine, les arbres fruitiers célébrant mille noces de sèves en pétales de mariées crépitant jusqu’au ciel; les chants des corbeaux aux joutes criardes pardonnées comme des cris d’enfonçons; les brumes des cerfs puissants dans la forêt proche, rythmes et pulsations d’amour battant leurs veines; jusqu’à l’étendue vert émeraude de la Loire renouvelée; tout chantait l’énergie neuve et montante pour accompagner ce départ.
L’instant de quelques instants, avant que le vent ne se lève, que les nuages oblitèrent le soleil renaissant et disperse les êtres, il y eu les regards échangés, la présence en mots et en silence, la cérémonie, les chants, les verres de l’amitié, les ombres fugaces de Marguerite Duras, d’Alexander Calder et de Paul Eluard. Tout cela tissa, en cette après-midi de mars, le cortège de cet homme au grand âge.
Cet homme au grand âge était passionné de Soufisme. Sur sa table de chevet, jusqu’à sa dernière nuit, un ouvrage de la précieuse tradition était présent.
Venus de temps rendus improbables tout autant que précieux, en ce jour d’attentats aveugles sur la terre de Belgique, les vers de Yunus Emré, poète et mystique turc du 13e siècle, résonnèrent sur les pierres muettes des derniers adieux. Transfuges de terres oubliées et d’aurores rémanentes, ces mots furent comme une invitation, un appel, une ode, une exhortation, une flamboyance dans le secret de l’élixir.
Dieu,
Donne-moi un tel amour
Que plus ne sache où je me trouve
Que de moi-même je m’égare
contre ma propre volonté;
Éblouis-moi de telle sorte
qu’hier se mêle à aujourd’hui;
Que je ne sois que ce désir
qu’aucune image ne contente;
Prends-moi, ôte-moi de moi-même
et me remplis enfin de toi.