A mon cher Senpaï

À Olivier, mon très cher Senpaï

Mon ami de très loin
Qui enjambas ce pont
Et vis une eau si noire ;

Te serait-il possible ?
Nous serait-il possible ?

De se souvenir,
Se remémorer,
Rerencontrer
Recontacter,
Retrouver,
Revivre,

La première vague d’inspir
La première vague d’expir
La toute première pause
Et le premier silence.

La première étoffe douce
Le tout premier contact
La première caresse
En velours de peau
Et le tout premier soin.

Le tout premier regard
Et la toute première forme
Du premier chant du cœur
Le premier étirement
La première onde première
Et le premier mouvement.

La première chaleur du soleil
Le premier rayon chaud sur le visage
Et la première nuit
Le premier crépuscule
Et la première aurore
Et la première lune.


La toute première faim
Et la première offrande
La première saveur
La première gorgée
Au sein d’éternité.
Et la première bouchée
Dans le tout premier fruit.

La première voix
La première autre voix
Et la chair des sons
En sa première saison.

Le tout premier parfum
Et le tout premier chant
La première couleur
De la première fleur.

Le premier chant d’oiseau
Le premier chant du feu
Et la première flamme.

La première terre
La première pierre
La première écorce
La première rugueur
La première épaisseur.

Le premier animal
Et les premiers insectes
La première forme
Du premier nuage
Le premier vol d’oiseau
Le premier grondement de tonnerre
Le premier ciel étoilé.

Le premier chant de pluie
Et la première odeur de terre mouillée
Le premier froid qui blesse
Et la première caresse
Du premier vent dans arbres
Et la première neige
Premiers flocons dans la main.

Le premier chant de l’eau
La première fois dans l’eau
Et la toute première vague
Première eau dans le creux
Des mains comme une vasque.

La première musique
La première histoire
Le tout premier dessin
Et la première lettre.

La première parole
Le premier inconnu
Ou la première passante.

Et la première pensée
Et cette première fois
Qu’on pense à ce que l’autre pense.

Bien sûr que c’est possible.

Bien avant
Le premier copain
Et la première copine
Et la première classe.

La première main tenue
Le premier baiser
Et la première fois.

Le tout premier cadeau
La première gorgée de café
La première cigarette
Et le premier alcool.

Le premier diplôme
Et le premier travail
La première paie
Et le premier logement.

La première église
Le premier mariage
Et la première naissance.

Le premier au revoir
Et la première absence
Et le premier adieu.

Bien avant tout cela
Avant que ne soit « Je ».

Bien sûr que c’est possible.


Et si cela n’a pas été permis
Dans le plein courant libre de la vie
Dans le plein abandon
La pleine réceptivité
La pleine offrande de sa forme première.

Si cela a été
Entravé, interrompu,
Contrarié
Ou même empêché
Ou bien même : absence.

C’est encore possible
Encore maintenant
En conscience
À tout moment
À tout instant.

Et, miracle des miracles,
Et le simple des simples,
Impossible à vouloir

La première respiration
Libérée, déspasmée,
Vie pleinement accueillie
Accueil plein de la vie.

Une aube de poitrine
En deux vagues qui s’épousent
En deux souffles qui se joignent
Et, vois ! L’eau noire s’éloigne.

Il n’est jamais trop tard
Pour cet émerveillement
À tant s’émerveiller.

Bien sûr que c’est possible.