
Sais-tu, mon fils, que les gens se trompent sur la Sagrada Familia? Ce n’est pas une basilique érigée sur la terre, c’est un navire de corail baignant dans une eau lustrale devenue air par la force du génie de Gaudí, une concrétion marine qui est sous la surface et monte sans cesse vers la lumière.
Le regard ne peut suivre, aspiré par ces vagues de soleil éclaboussant les vitraux, grandes anémones translucides ivres de couleurs vives.
Dans nul autre de ces vaisseaux de pierre à la gloire du ciel que les hommes ont bâti tu ne sentiras cela, pas même en cette cité de Rome d’où tu viens : ici, l’admiration ne peut être que marine. Cette cathédrale est une mer qui se serait départie de la déferlance des marées par respect pour ses temples de sables.
Elle confond le visiteur par la force de la beauté de ses grandes nappes liquides, onctueuses comme l’écume, soyeuses comme des tapis d’algues, dont la nef s’imprègne à rythme régulier, dans le bruissement répété des ferveurs silencieuses.
Aucun doute à avoir : nous ne sommes pas sur la terre. Nous sommes à l’exact point de rencontre sacral d’une terre liquide azurée et d’une ocre mer minérale.
Et nous recevrons en vagues cette lumière des vitraux, franche et douce comme un regard d’amour, tendre et vraie comme le sourire de pierre vive des Bouddhas millénaires.
Un jour, mon fils, nous reviendrons ici, toi perché sur mes épaules, nous émerveillant ensemble de ces jeux aquatiques reliant arabesques de pierre et jeux de lumières, et qui font vibrer et flotter ce grand vaisseau organique, lui donnant la force de défier la pesanteur et les éléments, dans l’irrespectueuse insolence d’une jeunesse toujours neuve.
Et, peut-être qu’avec ta petite main, comme tu le fais souvent lorsque tu veux attirer mon attention ou m’imposer le silence pour faire valoir ta voix, tu tourneras mon visage vers le tien, et me diras, comme cette autre fois où nous étions entrés dans une église, alors que je te tenais dans mes bras — te souviens-tu de ce que tu m’avais dit ?
— : « papa, c’est beau ces lumières ! »
Oui, elles sont magnifiques ces lumières, mon amour, mon fils.