J’ai nourri le poisson pour la dernière fois et lui ai demandé pardon… Depuis plusieurs années qu’il était là, dans ce petit bocal posé sur le bureau de sa chambre, elle n’y prêtait guère plus attention.
Elle, jeune et belle adolescente, emportée dans une farandole de paillettes digitales, avait d’autres préoccupations que de s’occuper de lui. Au point de ne même plus avoir le réflexe de le nourrir.
Quelques années auparavant, il y avait eu d’autres poissons dans ce bocal, fruits d’une de ces réclamations d’enfant dont les parents sentent bien, en y cédant, qu’il s’agit d’une lubie passagère. Au fil du temps, les poissons se firent de moins en moins nombreux… Tous moururent, sauf un, resté seul, malgré tous les manques de soin et d’attention, se nourrissant comme il pouvait, quant il pouvait, dans une eau souvent saumâtre. Un moment, nous avons songé à le donner, sans succès. Qui voudrait d’un petit poisson solitaire, sans attrait ?
Dans les premiers temps, je changeai l’eau et la nourriture régulièrement à la place de la jeune fille. Je pouvais continuer à assumer cette tâche mais je me suis dit que ce n’était pas la bonne solution pour la responsabiliser face à cette petite vie obstinée qui l’encombrait. Comme cette prise de responsabilité ne venait pas, malgré quelques appels répétés, j’ai accepté que la vie de ce petit poisson soit pour elle la graine d’une possible leçon d’existence.
Un jour, au détour d’une réminiscence, se rappellera-t-elle de cette petite vie et prendra-t-elle conscience de son sort cruel ?
Ce serait alors, peut-être, la possibilité pour elle de progresser plus avant vers la conviction évidente de l’essence sacrée de toute forme de vie. Un si petit poisson, une si précieuse leçons de vie.
J’ai nourri le poisson et changé son eau pour la dernière fois, en lui demandant pardon, et en le remerciant pour le sacrifice qu’il faisait de sa vie. Quelques mois plus tard, elle le retrouvait mort au retour des vacances…