Umaniti

Dominique Radisson {Textes, poèmes & autres}

L’être au centre

J’ai récemment retrouvé cette nouvelle, écrite il y a quelques années.

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal

L’homme est debout, de face, filmé en plan serré de la taille jusqu’à la tête. Puis plan fixe sur le regard figé, les yeux ne cillent pas. Est-ce un choc, un accident ? Quelque chose a eu lieu. L’homme sait. Expression particulière du visage de celui qui est dans le même temps acteur et spectateur à ce qui se produit en lui.

Derrière lui, l’arrière-plan, comme projeté sur un écran : succession très rapide d’images floues et mouvantes s’imbriquant, se fondant les unes dans les autres. Impression de dynamique tourbillonnante qui contraste avec l’étrange fixité de l’homme, de sa posture et de son regard. Le son renforce le ballet des images : glissement, bruits de vent ou de souffle, avec l’impression d’une bande son passée à l’envers. Comme si, en arrière plan, défilait une vie par bribes confuses, très vite, en tous sens.

Le son et les images produisent une impression de chaos mouvant contrastant avec la fixité du corps et du regard de l’homme.

Gros plan sur le visage de l’homme. L’arrière plan disparaît progressivement pour céder la place à une atmosphère très sombre. Les sons font place au bruit des battements du cœur emballé de l’homme. Plan fixe sur son visage dans la pénombre, dont on distingue à peine les contours et les yeux. L’homme réalise que quelque chose en lui vient d’aboutir dans cette pénombre. Il lui faut quelques longues secondes pour, immobile, accompagner cette transition. Puis il cligne des yeux, comme s’il revenait à la réalité. Tandis que son rythme cardiaque revient à la normale, le bruit des battements du cœur de l’homme s’estompe.

L’homme est debout, en un coin d’une très grande salle faiblement éclairée par une lumière diffuse venant d’on ne sait où. Derrière lui, nulle trace de porte qu’il aurait pu emprunter pour pénétrer dans ce lieu, mais cela n’a aucune importance. L’homme n’a pas besoin de savoir comment il est arrivé là. On sent à son regard qu’il ne se pose pas la question. Son envie : balayer du regard l’espace qui l’entoure. Découvrir cet espace. Pour une raison qui lui est totalement étrangère, ce lieu lui paraîtrait presque familier. Il ne ressent aucune peur.

Le lieu : impression d’un vieux décor de cinéma ou de théâtre, suranné. Omniprésence du bois usé, poli, patiné. C’est bien un théâtre. On distingue une scène nue et vide, des rangées de sièges poussiéreux inoccupés. La pièce ressemble à une grande salle de théâtre abandonnée et vide, qu’on n’aurait pas ouverte sur l’extérieur depuis longtemps. On entend la respiration de l’homme, elle se calme.

Gros plan sur le visage de l’homme dont la vue s’habitue lentement, très lentement, à la pénombre. Il suit le contour des murs de la salle. Quelque chose attire son attention, ce sont des formes indistinctes qui maillent l’espace de la salle : il devine comme des fils tendus. Peu à peu, l’homme voit mieux: tout un réseau de cordes parcourt cette salle. Elles semblent provenir de différents endroits, parois, murs et plafonds de la salle où elles sont accrochées, bien qu’on ne distingue clairement aucun point de fixation, les extrémités se perdant dans l’obscurité. Toutes les cordes convergent vers un point de la salle situé à mi-hauteur d’homme, à mi-chemin de la scène et du premier rang des fauteuils.

En ce centre géographique : un enchevêtrement de centaines de cordes, arquées par leur poids, blanches, épaisses, comme celles qu’on imaginerait actionner le rideau de la scène.

Et quelque chose d’autre…

D’abord ou l’entend avant de le voir.

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