Désormais, ce sont quasiment exclusivement des scènes d’enfance qui s’imposent à la raison de l’homme, à son être défendant.
Les parents se disputent devant l’enfant. Le ton monte, celui-ci finit par se lever de table et court s’enfermer dans sa chambre.
Il arbore, pour ses quatre ans, une magnifique paire de nouvelles chaussures. Ce jour-là, dans la cour de la maternelle, il la laisse, humiliée, à dix pas derrière lui alors qu’ils jouent comme tous les jours à se pourchasser. Il se retourne, très fier, jubilant de se sentir des ailes. Il est saisi : elle le regarde avec une telle expression d’impuissance d’humiliation qu’il se sent littéralement coupé aux chevilles : il a trahi leur magnifique entente.
« Ta grand-mère est morte ». Elle représentait l’amour et la tendresse pour lui, au sein d’une famille où les cœurs n’ont pas été habitués à parler. Il la veillera toute la nuit. Sa marraine lui dira : « ce n’est pas des morts qu’il faut avoir peur, c’est des vivants ».
Humiliation d’école, le directeur lui tire l’oreille le premier jour de classe, alors que tous les élèves sont réunis en rang pour la présentation. Injustice, ce n’est pas lui qui a jeté la boulette de papier !
Pour le remercier de son courage, le médecin espagnol lui offre un jouet en plastique. Pourquoi diable, lui, enfant, refuse-t-il ce présent ?
Mort de l’oiseau : « c’est la première fois que tu rencontres la mort, mon pauvre chéri ». Elle est sincèrement désolée. Lui se demande ce qu’elle peut bien lui raconter : il ne veut pas un discours sur la mort —il a le sentiment de la savoir depuis longtemps—, il veut simplement être réconforté. Réconforté sans la terrible charge de l’angoisse à l’œuvre derrière chaque parole.
Rires à Noël en famille. Son rire sonne faux de l’intérieur et pourtant personne ne le remarque ; il se sent seul. Il joue seul. Il a toujours eu le sentiment de cette différence – une absence d’insouciance – aussi loin qu’il se rappelle.
Scènes d’enfance.