Umaniti

Dominique Radisson {Textes, poèmes & autres}

L’être au centre

L’homme tient doucement l’enfant dans ses bras. L’enfant se calme, respire paisiblement, il a maintenant cessé de pleurer, l’homme aussi. L’enfant sourit, il est réconforté, heureux. L’homme aussi est heureux, ils rient tous les deux. Puis l’homme ouvre ses bras, détache doucement l’enfant de son épaule, et lui adresse un regard empreint d’un amour infini. Nulle parole échangée. Le regard de l’homme dans le regard de l’enfant semble lui dire « tu peux te détacher de moi maintenant, tu peux partir vivre ta propre vie ». L’enfant part en courant et en riant. La caméra se déplace avec l’enfant, le filmant de face en train de courir. Arrivé au sommet de la colline, il se retourne, jette un coup d’œil à l’homme loin derrière lui, agite son bras en signe d’adieu et disparaît, radieux. L’homme lui adresse un sourire d’adieu, lui rendant son geste, puis reste seul, assis dans cet immense paysage d’une sublime beauté.

L’homme reste là un long, très long moment de recueillement, et de repos, presque une méditation. Il a allongé son corps dans l’herbe et regarde le ciel, les mains croisées sous la nuque. (musique : on entend très lointaines, comme emportées par le vent, les premières mesures du « chant d’un convalescent à la divinité » du quinzième quatuor de Beethoven, mixées avec des sons techno très profonds, utérins, infra basses et échos aquatiques). L’homme est filmé d’en haut, la caméra se rapproche de lui pour finir par un gros plan sur ses yeux. Son expression est sereine, lumineuse, empreinte de gratitude. Une expression de Bouddha.

Gros plan sur les yeux. La lumière s’efface, cède à la pénombre. Les yeux dans la pénombre.

L’homme est de retour dans la salle. La place du monstre est vide. Le centre est vide. Les cordes pendent, inertes. Un silence total règne dans le lieu. Puis, de loin, on perçoit des bruits étouffés, provenant d’un des angles de la pièce. L’homme s’avance vers la source des sons. Une silhouette émerge de la pénombre. Vieux corps fatigué, usé. Vieil homme se tenant difficilement debout. Souffle haletant, respiration sifflante. Epuisé, il tient une corde dans la main. Son corps n’est que fatigue, usure, il n’en peut plus. Un très vieil homme, à l’expression de désarroi dans un regard rougi, voilé par l’eau amère d’une vie de lutte contre lui-même. Un très vieil homme.

Pages : 1 2 3 4 5 6 7