Fixité des horaires, contraintes règlementaires arbitraires (“stop! on ne court pas ici, mademoiselle”), autorité par hiérarchie verticale, pédagogie de la récompense (“tu as le droit de nourrir l’escargot car tu as bien levé le doigt”), etc… toutes ces caractéristiques rigides définies à ton époque et dans un seul but : que l’ordre règne et perdure. Peut-être certains verront-ils dans cette standardisation des comportements un gage de la pérennité de la société, et après tout c’est de bonne guerre, toute structure sociale tendant à privilégier les mécanismes qui la font perdurer. Mais cette guerre, Jules, je ne suis pas disposé à la cautionner et ne souhaite pas que mon enfant y soit enrôlée à son insu.
Pourtant, dès ton époque, et même quelques siècles auparavant (!) des voix s’élevaient pour dénoncer le caractère formateur et réducteur de ton instruction, cet étêtage des forces vives, et proposer d’autres possibles. Car, pour certains parents dont nous sommes, la priorité n’est pas de faire de notre enfant un être socialement conforme, mais de lui offrir des conditions favorables à l’épanouissement de ses capacités et de sa créativité, selon des principes et méthodes qui, tout en le mettant en relation avec l’autre, encouragent la reconnaissance de sa singularité.
Veux-tu un exemple ? Venant d’une crèche parentale, nous pensions que cette rentrée en petite section allait comporter un temps d’adaptation. Quels ne furent pas notre surprise et notre désappointement de constater que cela n’était pas prévu par le règlement : nous avions pour devoir d’accompagner notre fille, de rester un petit temps avec elle (pas plus de 20 minutes) et de repartir. Dans ces conditions Jules, comment voulais-tu que notre fille ne réagisse pas comme presque tous les enfants de la classe et se mette à pleurer si fort au moment de cette sèche séparation?
Et c’était parti… Durant plusieurs jours, ce furent concerts de pleurs et cris déchirants, quasiment tous les enfants à l’unisson. “Je veux pas aller à l’école”, “Je veux pas” pouvait-on entendre. Chez les petits, on ne voyait presque que ça : des yeux rougis, inondés de larmes retenues ou coulant à gros, demandant, implorant, exigeant avec déchirement “Maman, Papa, ne me laisse pas!”. Ca se voyait et ça s’entendait depuis la rue par les fenêtres ouvertes du premier étage, ça s’entendait dans la rue, comme une rumeur. Le sixième jour notre fille est tombée malade, une fièvre de cheval l’a assommée une nuit entière… 1
Le premier jour, nous avons outrepassé les règles et sommes restés plus longtemps que permis avec notre fille, étant hors de question pour nous de la laisser—de l’abandonner, le terme n’est pas trop fort— dans cet environnement inconnu. Alors nous sommes retrouvés convoqués dans le bureau de la directrice… Ai-je rêvé ? Après avoir brisé la glace, elle nous a confirmé qu’elle n’avait ni les moyens humains, financiers ou pédagogiques d’apporter à nos enfants un accueil qui corresponde à notre vision, avec laquelle elle était globalement d’accord. Mais « C’est un passage nécessaire, il faut passer par là, tous les enfants pleurent, parfois cela dure quelques jours, parfois une semaine, ou même quinze jours, mais ça finit par se passer » nous a-t-elle dit. “L’école maternelle est là pour dématerner”. Plus tard, devant l’école, une des mamans m’a dit cette phrase très juste: «il faudrait faire des maternelles parentales comme il y a des crèches parentales». Avant d’ajouter, résignée : « Mais bon, ça a toujours été comme ça».
Eh bien mon cher Jules, je souhaite te dire que ce n’est pas parce que ça a toujours été comme que ça doit le rester. Et je te demande d’imaginer une chose : que je te conduise toi, en tant qu’adulte, plusieurs jours de suite (en réalité sans notion précise du temps comme à l’âge de ces enfants) dans un lieu où tu ne te sentes pas bien et ne souhaites pas rester, enfermé, ne connaissant personne, et ne pouvant le quitter de toi-même. Comment appellerais-tu un tel lieu, Jules ? N’est-ce pas le terme de “prison” qui te viendrait tout de suite à l’esprit?
- Et aujourd’hui, je relis ce texte trois semaines après, et précise que les pleurs continuent : “ça a été infernal hier, tous les enfants pleuraient!” m’a dit la maîtresse ce matin.[↩]