Ia ora na
Gecko,
te souviens-tu de Tahiti ?
de cet éperon de roche
qui nous rendit si proches
et qui te baptisa
pour toujours en mon cœur d’ami?
Gecko, mon Ami
Peux-tu vivre ce matin
comme si tu n’avais pas eu de vie,
ni parents, ni famille, ni amis, ni connaissances
ni expérience aucune ?
comme si tu venais d’arriver sur cette terre
pour la première fois
la première minute
la première seconde ?
sens-tu le goût que ça a ?
la légèreté
la fin du poids ?
nulle attache
nulle accroche
ne serait-ce qu’une seconde
la Joie
tout l’espace rendu disponible
à ce qui est
pour ce qui est
sens-tu cela ?
senti une fois
cela suffit
le chemin est ouvert
la place connaît sa place
le sens s’est dissous
dans le jardin des fleurs du vivre
au cœur de la tourmente
au plus dur
au plus douloureux
sens-tu cela?
il n’y a plus que le coeur
l’amour
et la présence
le temps lui-même
s’est transmuté
transformé
dissous dans les fleurs du vivre;
je regarde les toits
les terrasses, les balcons fleuris
j’entends le bruit de la ville
le chantier proche
le chant des oiseaux dans le ciel d’été
entends-tu toi aussi tout cela?
tu sens,
tu vis
pour la première fois
tout est frais
tout est neuf
tout est premier
étonnement
émerveillement devant le vivre
et non pas devant la vie;
te voilà sans histoire
comme si tu avais, la veille,
assisté au cortège de ton propre enterrement
dans le cimetière de la grande cité
ta vie s’arrête mais la vie continue
dis-moi si tu devais être mort hier
et que par un miracle tu pouvais revenir
ici même, et maintenant
comment vivrais-tu cet instant
l’instant même où tu me lis ?
serait-ce la même chose que dans ta vie d’habitude
ou différent ?
ne sentirais-tu pas que tout est différent?
qu’une félicité sans nom coulerait dans tes veines
te faisant sentir, dire, chanter, crier
à quel point vivre
est le miracle des miracles
tu peux choisir
qu’il se produise à chaque instant;
à chaque respiration
célèbre la joie :
tu es vivante,
tu es vivant!
tu as la chance de respirer
de bouger,
de voir, d’entendre
de ressentir
d’aimer!
oublie les blessures
les affronts
tout ce que tu as reçu
sois comme si tout ceci
n’avait été qu’un rêve
tu te réveilles, ce matin
pour la première fois
premier jour
tout est neuf
rien n’est habituel
dans le jardin de la conscience
jardin des fleurs du vivre;
mon ami,
je chemine avec toi,
à tes côtés
quel sens d’y aller seul?
nous vivons les mêmes tourments,
l’apparence diffère
mais l’essence est la même;
rien de ce qui nous arrive
n’est la faute de l’autre
cette condition à notre bonheur
que nous faisons peser sur lui
délestons-le de ce poids
remplissons par nous-mêmes
notre coupe du bonheur
n’attendons rien de l’autre;
notre quête de l’Absolu sera éperdue
tant que nous refuserons de voir
qu’elle s’enracine
dans des besoins d’enfant insatisfaits
et non dans le cercle secret des étoiles;
tout nous invite, ami
à nous ouvrir davantage
nos blessures infinies sont vieilles
comme nos pires scénarios
comme nos lignes de rêve…
tout ceci est si vieux
imprégnés depuis si longtemps
nous tournons en rond
apparemment libres
de scier les barreaux de notre cage;
ancrons-nous dans ce moment
inspire, expire
rien d’autre à faire
chose la plus simple
autant que la plus dure
et purgeons nos montagnes
des torrents trop longtemps retenus;
moment présent, méditation, arrêt du monde :
comme on perce le fond de la tasse
où l’eau croupit
purge, expression, mise en mouvement :
comme on remue le liquide
qui débordera;
vois :
une voie par le bas
une voie par le haut
nous ne sommes pas démunis;
ami,
dans tous les cas :
le souffle;
Gecko, toi aimant le soufisme,
tu ne le sais que trop bien
ce souffle d’amitié qui nous lie
nous relie
écoutons-le chanter
célébrons-le
veux-tu?
je t’attends, mon ami
et pourtant je marche…
je marche en t’attendant
je t’attends en marchant
et un jour
c’est toi qui m’attendras
ainsi va la vie
Gecko,
mon ami