Écoutez cet enregistrement. […] C’est l’appel d’un béluga (une baleine blanche) appelée Noc.
Le chant des Bélugas ne ressemble normalement pas à ça, bien au contraire. Les soigneurs de Noc pensent que ces sons bizarres représentent une tentative pour imiter les sons de la parole humaine.
L’idée n’est pas farfelue. Les bélugas vocalisent tellement qu’ils sont souvent appelés “canaris de mer”. William Schevill et Barbara Lawrence, les premiers scientifiques à étudier les sons des bélugas dans la nature, ont écrit que les appels pourraient occasionnellement suggérer “une foule d’enfants qui crient dans le lointain”. Depuis, il y a eu beaucoup d’anecdotes rapportant que ces animaux pouvaient imiter la voix humaine, y compris les affirmations que Lagosi, un béluga mâle à l’Aquarium de Vancouver, avait la capacité de prononcer son propre nom. Mais jusqu’à présent, personne n’avait fait l’expérience clé. Personne n’avait enregistré un béluga imitant l’homme et analysé les caractéristiques acoustiques de l’appel.
Noc a fourni une bonne occasion. Il était l’un des trois bélugas qui sont arrivés à la National Marine Mammal Foundation (NMMF) à San Diego (Etats-Unis) en août 1977, après avoir initialement été capturés par des chasseurs inuits au Canada. Étant le plus petit des trois, Noc fut affublé du surnom de “noseum”, les minuscules moucherons qui infestent les chasseurs durant l’été canadien.
En mai 1984, sept ans après l’arrivée de Noc à San Diego, le personnel de la NMMF a commencé à entendre des bruits qui ressemblaient à des paroles. Au début, personne ne pouvait savoir d’où venaient les bruits. Les sons ressemblaient “à deux personnes causant à distance juste hors de portée de notre propre compréhension”, écrit Sam Ridgway.
Le mystère a été résolu plus tard cette année, par un heureux hasard. Un groupe de plongeurs s’entrainait à l’extérieur de l’enceinte de Noc, lorsque l’un d’eux a fait surface et a demandé “Qui m’a dit de sortir ?”. C’était Noc.
Après cet incident, les formateurs l’observèrent de plus près et ont confirmé qu’il était la source de leurs bruits mystérieux. Il l’a fait spontanément, sans aucune formation. Et il a vocalisé ces appels lorsqu’il était seul ou quand ses soigneurs étaient là et ne s’est jamais socialisé avec les deux autres baleines dans son réservoir.
L’équipe de Ridgway a enregistré les appels de Noc pour constater que leurs caractéristiques acoustiques étaient très différentes des sons typiques des baleines, mais n’étaient pas sans rappeler celles de la parole humaine. Le rythme était comparable, avec des éclats vocaux qui ont duré pendant environ trois secondes et avec des intervalles de moins de 0,5 seconde. Les appels de Noc avaient une fréquence de 200 à 300 Hz, ce qui est similaire à la gamme de la parole humaine et beaucoup plus faible que les sons habituels d’une baleine.
Après de nombreux enregistrements, l’équipe de Ridgway a commencé à entrainer Noc à faire des sons correspondant à la parole humaine comme un signal, afin qu’ils puissent mieux étudier la façon dont il les produisait.
Les baleines produisent des sons en envoyant de l’air à travers leur voie nasale devant leurs lèvres phoniques, une paire de plis musculaires vibrants qui agisse comme notre boite vocale. A partir de là, l’air pénètre dans les deux poches appelées les sacs vestibulaires. Noc imite les bruits de la parole humaine en augmentant la pression dans ses voies nasales, en contrôlant précisément les vibrations de ses lèvres phoniques et en gonflant ses sacs vestibulaires, pour atteindre ces tonalités inférieures.
Stan Kuczaj, qui étudie le comportement des mammifères marins à l’Université du Sud du Mississippi, en est convaincu :
Le béluga semble imiter la parole humaine et l’a très bien fait. Les bélugas sont connus pour avoir d’excellentes compétences en mimétisme acoustique.
Selon Justin Gregg du Dolphin Communication Project :
A l’écoute de l’enregistrement, le son n’est pas exactement similaire à la parole humaine, je n’ai aucune idée de ce que la baleine “dit” mais l’équipe de Ridgway a certainement constaté que la baleine essayait vraiment de produire les sons du langage humain.
“Nous ne prétendons pas que notre baleine était une bonne imitatrice par rapport aux célèbres imitations des perroquets et des mainates”, écrit Ridgway. Mais il soutient que les appels qu’il a enregistrés sont un bon exemple de l’apprentissage vocal, où les animaux apprennent à faire des bruits en écoutant les sons autour d’eux. Dans ce cas, il est probable que Noc ait récupéré la hauteur et le rythme de la parole humaine, après avoir passé des années en contact étroit avec ses soigneurs.
Pourquoi ? Selon Kuczak :
Je ne pense pas que la baleine était en train d’apprendre le langage humain afin de communiquer avec les humains.
Au lieu de cela, il suggère que Noc était tout simplement intéressé par ces sons bizarres dans son environnement et a essayé de les reproduire. Gregg ajoute que les bélugas, comme les dauphins sont des animaux très sociaux et qui ont la capacité à apprendre et à imiter les nouveaux appels pourraient les aider à répondre à d’autres personnes. Ils ont aussi une écholocation très sophistiquée et peuvent subtilement modifier leurs clics ultrasoniques pour analyser leur environnement.
Les tentatives de Noc, pour reproduire la parole humaine, se sont poursuivies pendant quatre ans. Alors qu’il grandissait, il s’est arrêté, mais il a continué d’être bavard, avec un éventail de “bruits, de grincements, de jappements ou d’aboiements”.
Il y a cinq ans, Noc a complètement cessé de chanter. Il est finalement mort après 30 ans à la NMMF. A travers les enregistrements de Ridgway, sa voix résonne encore.
Ridgway a présenté ses conclusions lors d’une conférence dans les années 1980, mais d’autres projets de recherche ont eu préséance et ce n’est que tout récemment que cette recherche a été publiée, enrichie des nouvelles découvertes, sous les encouragements des spécialistes de ces baleines blanches.
L’étude publiée cette semaine sur Current Biology : Spontaneous human speech mimicry by a cetacean et au format PDF.