Aujourd’hui, aussi bien en Europe qu’en Amérique, de nombreux enfants sont en réalité en résidence surveillée, 80% d’entre eux au Royaume-Uni se plaignent qu’ils n’ont “nulle part où aller”. Il est quatre heures de l’après-midi, vous avez un peu d’argent dans vos poches, mais ce n’est pas grand chose. Vous avez fini les cours de la journée et vous voudriez passer du temps avec vos amis. Les cafés bon-marché seront fermés dans une heure, vous n’avez pas assez pour un restaurant et vous n’êtes pas autorisé à entrer dans une brasserie. Vous dites à qui veut l’entendre que vous ne voulez pas causer de problèmes – vous souhaitez simplement un endroit au sec, bien éclairé et sûr, où vous pourrez flâner et bavarder. Alors vous allez dans les abris-bus, les parkings et les zones éclairées en dehors des commerces de proximité. Et puis vous en êtes chassés comme si vous étiez de la vermine. Le Royaume-Uni semble montrer l’exemple de comment ne pas traiter les enfants.
Un projet d’installer un but de handball sur un terrain communal dans l’Oxfordshire a été bloqué “parce que les habitants ne voulaient pas attirer les enfants”. Dans l’ouest du Somerset, on a empêché a une fillette de huit ans de faire du vélo dans sa rue parce qu’un voisin s’est plaint que les roues grinçaient. Dans un sondage, les deux tiers des enfants ont déclaré qu’ils aimaient jouer à l’extérieur tous les jours, principalement pour être avec des amis, mais 80% d’entre eux ont déjà été réprimandé pour avoir joué à l’extérieur, 50% se sont fait crier dessus pour avoir joué à l’extérieur et 25% des 11 – 16 ans ont été menacés de violence par des adultes pour … pour quoi ? Pour avoir joué à l’extérieur, avoir fait du bruit, avoir été gênants.
Le plus triste, c’est que cela fonctionne. Un enfant sur trois admet qu’avoir été grondé pour avoir joué dehors est la raison pour laquelle il ne sort plus. S’il y a un seul mot qui résume le traitement des enfants aujourd’hui, c’est l’enfermement. Les enfants de nos jours sont enfermés dans les écoles et à la maison, enfermés dans les voitures qui font la navette entre les deux, enfermés par la peur, par la surveillance, la pauvreté et les horaires rigides.
En 2011, l’UNICEF a demandé aux enfants ce dont ils avaient besoin pour être heureux, et les trois premières réponses sont le temps (particulièrement avec leur famille), les amitiés et, ce qui est très révélateur, “dehors”. Des études montrent que lorsque les enfants sont autorisés à jouer de manière non structurée dans la nature, leur sens de la liberté, d’indépendance et de force intérieure prospèrent, et les enfants en pleine nature sont non seulement moins stressés, mais aussi se remettent plus facilement d’événements stressants.
Mais les espaces ouverts dédiés à l’amusement des enfants sont en constante diminution. En Grande-Bretagne, les enfants disposent d’un neuvième de l’espace dont disposaient les générations précédentes. On assiste également à une diminution du temps disponible, avec moins de 10% des enfants passant du temps à jouer dans les forêts, landes, campagnes ou bruyères, contre 40% il y a une génération. Les jeunes enfants sont enfermés au motif que les adultes ont peur pour eux, et les enfants plus âgés parce que les adultes ont peur d’eux.
En Amazonie, j’ai vu des enfants de cinq ans brandir des machettes avec habileté et précision. À Igloolik, dans l’Arctique, j’ai vu un enfant de huit ans, prendre un couteau et dépecer un caribou gelé sans accident. En Papouasie Occidentale, j’ai rencontré des jeunes de 12 ou 13 ans avec une telle capacité physique et une telle confiance que, lorsqu’on leur a demandé de transmettre un message, ils ont terminé le périple en six heures à peine – un parcours qui m’avait pris ainsi qu’aux guides un jour et demi.
Ce n’est pas seulement une question de compétence physique: la liberté que les enfants Inuit ont connu traditionnellement a fait d’eux “des individus autonomes, attentionnées et maîtres d’eux-mêmes», ce sont les mots d’un Inuit que j’ai rencontré dans la région du Nunavut au Canada. Ça leur a donné courage et patience.
Les enfants ont besoin de naturel sans limite de temps, mais ces moments sont insuffisants pour beaucoup qui sont enfermés par des emplois du temps rigides dans des activités sans fin, programmées du réveil au coucher, chaque heure étant exploitée par leurs parents dont les actions sont poussées par la crainte que leur enfant puisse prendre du retard dans la course effrénée qui commence dès la crèche. Parce qu’ils aiment leurs enfants, qu’ils ne veulent pas qu’ils soient perdants à vie, leurs parents les poussent à réussir à coup d’emploi du temps blindés. La société distille une peur de l’avenir qui ne peut être apaisée qu’en sacrifiant le jeu et l’oisiveté, et les enfants en ressentent les effets avec le stress et la dépression.
Dans de nombreuses cultures traditionnelles, cependant, les enfants sont réputés être les meilleurs juges de leurs propres besoins, y compris de comment ils passent leur temps. En Papouasie Occidentale, un homme m’a dit que lui et ses amis, étant enfants “on allait chasser et pêcher, et on rentrait à la maison quand on entendait les grillons.” Dans le tipi pour enfants où James Hightower, métisse Cherokee, a passé tant de temps pendant son enfance, les jeux pouvaient durer jusqu’à quatre heures du matin. “L’Indien n’est pas comme les enfants civilisés”, se souvient-il, “à manger et dormir à des heures données.” (Dans sa bouche, le mot «civilisé» n’est pas un compliment.)
“Quand nous travaillons, nous n’avons tout simplement pas le temps d’embêter les enfants”, me dit un jour Margrethe Vars, une éleveuse de rennes Sami. Elle s’interrompit pour tirer sur sa cigarette, pour qu’à l’énoncé de ces mots, imitant les parents européens, la fumée lui sorte littéralement des narines : «T’es-tu lavé les mains ? A table !” Elle fit une grimace : pour elle, la liberté des enfants n’était pas seulement un droit, mais un soulagement pour tout le monde. Alors que l’été s’étendait sur une seule longue journée, les enfants Sami restaient debout toute la “nuit”, et ça ne dérangeait personne parce que tous les parents partageaient l’idée que les enfants sont responsables de leur propre temps. Ainsi, les premières heures du jour – lumineuses grâce au soleil d’été – voyaient les enfants s’activer en quad, surveiller les rennes, se chatouiller ou s’endormir.
“Ici, nous dormons quand nous sommes fatigués, nous mangeons quand nous avons faim”, dit Vars. “Mais pour d’autres sociétés, les enfants sont très organisés. Tout est minuté : quand manger et dormir, quand rendre visite à ses amis…” Elle grimaça à l’idée de microgestion. La méthode Sami produisait des résultats vraiment positifs, non seulement dans la réduction des conflits insignifiants, mais aussi dans quelque chose d’intangible et vital. Leurs enfants grandissaient plus autonomes, moins soumis à la pression extérieure.