La plaine entière vibrait de son repos du soir, paisible comme un souffle qui se pose. Une teinte d’armoise violine emplissait l’horizon où de paisibles nuages aux contours délicats dessinaient des montagnes méditantes de laque mauve ciselée.
Jamais paysage ne fut moins sépulcral.
Montant d’une terre où des ombres obscures esquissaient déjà une danse immobile, une note, une seule, longue et tenue comme un point d’orgue dans le cycle immuable des saisons, sembla contenir et condenser tous les échos du monde.
Puisant sa pulsation aux vibrations des derniers éclats de l’été qui avaient effleuré la corde des saisons, elle se déploya en un accord ample et profond, aux tierces rondes et tièdes comme des seins de femme.
Puis, avant de disparaître, elle se ramifia en une étole d’harmoniques fraîches et cristallines, imperceptible présage des froides craquelances et des replis blanchis de l’hiver à venir.
Oui. La terre, vibrante encore aux feux d’une saison abolie, se réservait et se préparait à la suivante, comme une amante qui s’offre dans l’attente.
L’hommage entre deux hommages était celui du soir.
L’air était frais et pur, élégamment bleui de senteurs végétales, d’effluves de racines et de parfums de terre. Aucun vent, aucun bruit ne venaient troubler l’atmosphère, claire comme un songe d’enfant, limpide comme un esprit d’Orient.
Le voyageur glissait presque silencieusement sur la route rectiligne qui longeait la crête surplombant les grandes falaises de craie blanche. Le ruban d’asphalte noir se déroulait sans heurts devant le capot de sa voiture qui semblait, par une imperceptible précaution de moteur, vouloir elle aussi participer à l’harmonie des choses.
Par la fenêtre entrouverte, un adagio d’air liquide coulait en écharpe sur son côté gauche, autour de son bras, de son épaule et de son cou. Il était heureux, de ces moments où rien ne manque, où tout est plein d’une évidence en-deçà du vol pesant et lourd des mots, semblable à celui de ces grands oiseaux mouillés qui peinent à s’extraire de l’océan qui les a nourris.
Et la nuit se faisait.
À l’ouest, à peine détachée de la ligne d’horizon, une pointe de diamant incandescent poinçonnait l’ouvrage d’orfèvre de la voûte céleste, captivant l’attention, aimantant le regard. Que celui-ci s’y offre ne serait-ce qu’une seconde et le cercle du temps se figeait et s’ouvrait en son centre, engloutissant les âges, abolissant les époques.
Alors, la plaine tout entière s’effaça, telle un vaisseau englouti s’élevant des eaux noires, et la nuit retourna son regard.
Et surgit alors un monde de dunes, de sable et de silice émergeant des profondeurs de la mémoire des hommes, où de très anciens bergers d’Ispahan faisaient monter des chants d’amour et de joie, toujours plus haut dans l’air limpide et cristallin du soir, offrant à cet astre brûlant des noms d’amoureuse inaccessible.
Unies comme au premier jour, le ciel et la terre enfantèrent d’une étoile dans le grand ciel sans fin et à l’écho tranquille.
Tout était là, épargné des mouvances.